Dans les articles phares du CRBLM, nous soulignons le travail actuel et en cours de nos membres sur divers sujets.
Réduire le bruit : recherches récentes sur la façon dont nos cerveaux filtrent les informations auditives
Traduction par Audrey Delcenserie
À l’approche des fêtes, plusieurs d’entre nous seront exposés à des situations bruyantes : les cocktails pour le travail, l’achalandage d’un centre commercial ou les grandes réunions de famille. Notre cerveau travaille dur pour filtrer ce que nous ne voulons pas entendre afin que nous puissions nous concentrer sur ce qui compte. Comment cela fonctionne-t-il… et que se passe-t-il lorsque le bruit est trop important ?
De récentes études du CRBLM se sont penchées sur ce phénomène qui porte divers noms, dont « la parole dans le bruit », « l’écoute dans le bruit » ou « l’effet cocktail party ». C’est l’acte de séparer un objet sonore (un mot, une voix, une alarme de téléphone portable, etc.) de son arrière-plan auditif. Voici un exemple visuel :
Une analogie visuelle de l’écoute dans le bruit.
Pour trouver l’objet dans l’image ci-dessus, vous devez utiliser son contraste de couleurs (remarque : certaines personnes daltoniennes pourraient ne rien voir). Si vous avez déjà vu ce type d’image auparavant, vous vous attendez à ce qu’elle contienne un nombre, ce qui vous aide à l’identifier avec moins d’effort. De même, afin d’identifier un objet sonore, il est possible d’utiliser les indices qu’il fournit (sa hauteur tonale, son volume, ses harmoniques, etc.) ainsi que nos attentes à propos de ce que nous devrions entendre (un mot ou une phrase en particulier, la voix d’un ami, une ligne d’harmonie dans une pièce chorale). Cependant, lorsque l’objet et l’arrière-plan sont moins distincts, cela peut devenir plus difficile :
Maintenant, un plus difficile !
Ici, vous avez peut-être encore pu voir le nombre, mais ne soyez pas trop vaniteux – vous venez de voir une meilleure version de la même image. N’oubliez pas, les attentes comptent ! Tentez l’expérience sur quelqu’un d’autre, mais en ne lui montrant que la deuxième image, ce qui simulera une situation difficile de « parole dans le bruit ».
Les personnes ayant une audition normale sont capables de capter un signal vocal dans un environnement bruyant, mais, même lorsque nous sommes capables de percevoir la parole avec succès, nous utilisons peut-être plus d’effort cognitif que lorsque l’environnement est calme. Cet effort cognitif plus élevé peut être mesuré par la dilatation des pupilles et l’augmentation des ondes cérébrales à une certaine gamme de fréquences (alpha). En plus, dépenser davantage de ressources cognitives pour la perception de la parole laisse moins de ressources pour se souvenir du discours par la suite, comme démontré par Zhang et ses collègues.
Les travaux des membres du CRBLM qui font partie de la Montreal Bilingual Brain Initiative (MOBI; Kousaie et al.; Grant et Kousaie) suggèrent que, pour les personnes bilingues, travailler dans sa langue seconde peut aussi augmenter la quantité d’effort cognitif nécessaire pour percevoir la parole dans le bruit. Plus vous apprenez une deuxième langue tardivement, plus la perception de la parole sera difficile. Dans des situations très difficiles, comme l’écoute d’une deuxième langue dans le bruit, le cerveau peut atteindre une sorte de point de saturation de l’effort cognitif. Le groupe l’a démontré en utilisant différentes mesures de l’effort cognitif, incluant l’activité mesurée par IRMf dans le gyrus frontal inférieur antérieur, la puissance des ondes alpha mesurée par EEG et les scores perceptuels – différentes mesures qui ont toutes raconté une histoire similaire. Consultez cet article BrainPost (en anglais) pour obtenir des détails à propos de l’étude IRMf.
On a souvent tenté de déterminer si la formation d’un musicien le rend plus apte à déchiffrer la parole dans le bruit. Les études qui se sont penchées sur cette question varient considérablement, notamment parce qu’elles ont utilisé différents types de signaux cibles (des tonalités musicales uniques aux phrases complètes) et différents types de bruit (du bruit blanc aux autres personnes qui parlent). Coffey, Mogilever et Zatorre ont conclu dans un récent article de synthèse que, en général, c’est vrai que les musiciens sont avantagés. Cependant, il est possible que l’avantage des musiciens n’existe que dans des conditions spécifiques ou avec certains stimuli, ce qui expliquerait une grande partie de la variabilité de ces études.
Plusieurs se demandent si l’avantage des musiciens pouvait être dû à d’autres facteurs comme la génétique, la personnalité ou le statut socioéconomique, et non pas à leur formation musicale. Cependant, Coffey et al. soulignent qu’il existe des études à long terme démontrant les avantages de la musique chez les individus, et ce même lorsque les participants sont affectés au hasard à un groupe de formation musicale ou encore à un groupe contrôle.
Alors pourquoi cet avantage existe-t-il ? Une hypothèse est que les musiciens passent beaucoup de temps à apprendre à percevoir les différences de hauteur tonale les plus subtiles, ce qui les aide ensuite à séparer les informations provenant de différentes sources auditives. Cela semble logique, mais les travaux de Deroche et de ses collègues suggèrent que les musiciens ne font pas toujours meilleur usage des indices de hauteur tonale pour discerner les phrases dans le bruit. Encore une fois, le type de stimuli et la difficulté de la tâche importent, mais d’autres facteurs entrent aussi en jeu, comme les prédictions et les signaux alternatifs dans le stimulus. Découvrez une perspective différente par Coffey et ses collègues, qui ont créé une tâche parallèle de « musique dans le bruit ».
Quelle que soit votre capacité à le filtrer, une exposition continue au bruit peut avoir un effet durable sur votre cerveau, induisant une plasticité inadaptée. Thomas et ses collègues ont exposé des rats adultes à un bruit persistant de bas niveau pendant deux semaines, ce qui a perturbé les neurones spécialisés du cortex auditif et les a ramenés à un état flexible, ou « plastique ». Il semble que les neurones pourraient être ensuite reprogrammés afin d’être sensibles à différentes fréquences sonores. Cependant, après cette reprogrammation, les rats de l’étude ont également démontré des signes d’hyperacousie (hypersensibilité aux bruits).
Souvent, la flexibilité du cerveau, ou la « plasticité », est présentée comme étant positive. Par contre, ce n’est pas toujours le cas. Tout ce qui perturbe le système bien ordonné de la perception de base peut, en fin de compte, avoir de graves conséquences :
Le traitement sensoriel est fondamental pour les fonctions supérieures
[Image reproduite avec l’autorisation de Miguel Cisneros-Franco]
Cela a également des implications pour la santé humaine. La Dre Sylvie Hébert étudie l’hyperacousie (et un trouble connexe, les acouphènes) chez l’homme. Ces troubles semblent être causés par une perte auditive, des commotions cérébrales ou une exposition au bruit. Quel est le fil conducteur ? Il se pourrait que le cerveau, en essayant d’obtenir un meilleur signal, amplifie les entrées auditives bruyantes, qu’elles proviennent du bruit externe ou du bruit neuronal. Ainsi, tant chez l’animal que chez l’homme, le bruit peut affecter le système perceptuel et entraîner d’autres difficultés cognitives.
Alors… amusez-vous bien lors de vos soirées cette saison, mais n’oubliez pas de réduire le bruit quand vous le pouvez ! Ce sera sain pour vos oreilles et votre cerveau, mais ça aidera aussi les personnes malentendantes, les personnes qui parlent dans leur deuxième langue ou celles qui sont simplement fatiguées mentalement. Soyons attentifs à nos paysages sonores !
References
* Les références suivies d’un astérisque identifient des présentations aux conférences
Zhang, Y., Lehmann, A., & Deroche M.L.D. (2019) Assessing Cognitive Load Using a Word Recall Task and Pupillometry. midWinter ARO Conference, Baltimore, US*
Kousaie, S., Baum, S., Phillips, N. A., Gracco, V., Titone, D., Chen, J.-K., … Klein, D. (2019). Language learning experience and mastering the challenges of perceiving speech in noise. Brain and Language, 196(October 2018), 104645. https://doi.org/10.1016/j.bandl.2019.104645
Grant, A. & Kousaie, S. (2019). Multimodal brain imaging of bilingual speech perception in noise. Presented at Language Science: The Next Generation (Psychonomics Affiliate Symposium). Montréal, Canada.*
Coffey, E. B. J., Mogilever, N. B., & Zatorre, R. J. (2017). Speech-in-noise perception in musicians: A review. Hearing Research, 352, 49–69. https://doi.org/10.1016/j.heares.2017.02.006
Deroche, M. L. D., Limb, C. J., Chatterjee, M., & Gracco, V. L. (2017). Similar abilities of musicians and non-musicians to segregate voices by fundamental frequency. The Journal of the Acoustical Society of America, 142(4), 1739–1755. https://doi.org/10.1121/1.5005496
Coffey, E. B. J., Arseneau-Bruneau, I., Zhang, X., & Zatorre, R. J. (2019). The Music-In-Noise Task (MINT): A Tool for Dissecting Complex Auditory Perception. Frontiers in Neuroscience, 13(March), 1–14. https://doi.org/10.3389/fnins.2019.00199
Thomas, M. E., Guercio, G. D., Drudik, K. M., & de Villers-Sidani, É. (2019). Evidence of Hyperacusis in Adult Rats Following Non-traumatic Sound Exposure. Frontiers in Systems Neuroscience, 13(October), 1–17. https://doi.org/10.3389/fnsys.2019.00055
Assi, H., Moore, R.D., Ellemberg, D., & Hébert, S. (2018). Sensitivity to sounds in sport-related concussed athletes : A new clinical presentation of hyperacusis. Scientific Reports.
Deshaies, P., Gonzales, Z, Zenner, H.-P., Plontke, S, Paré, L., Hébert, S., Normandin, N., Girard, S.-A., Leroux, T., Tyler, R., & Côté, C. (2011). Quantification of the burden of disease for environmental noise induced tinnitus. In World Health Organization (WHO), Burden of disease from environmental noise: Quantification of healthy years lost in Europe. Chapter 5, pp. 71-90. Copenhague: WHO Regional office for Europe.