Dans les articles phares du CRBLM, nous soulignons le travail actuel et en cours de nos membres sur divers sujets. Les publications “Connexions recherche / applications concrètes” se concentrent sur un seul article publié, donnant un très court résumé et mettant en évidence des applications potentielles à des questions de politique réelles.
Connexions recherche / applications concrètes : Comment les élèves apprennent-ils une langue seconde en classe ?
Article de blog par Mehrgol Tiv
Traduction par Audrey Delcenserie
Référence: Bell, P., Fortier, V et Gauvin, I. (2020). Using L1 Knowledge About Language During L2 Error Correction: Do Students Make Cross-Linguistic Connections? Language Awareness, 29(2): 95-113. Taylor & Francis.
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Comment les élèves apprennent-ils une langue seconde en classe ? Des chercheurs de l’Université du Québec à Montréal et du Centre de recherche sur le cerveau, le langage et la musique ont constaté que les étudiants en anglais langue seconde n’établissent pas beaucoup de liens spontanés et conscients à partir de leur langue première, le français, lorsqu’ils effectuent une tâche linguistique en anglais.
L’apprentissage d’une nouvelle langue, tout comme celui d’une première langue, ne se limite pas à l’apprentissage de mots individuels. Les apprenants acquièrent également une compréhension du fonctionnement de la langue, et cette connaissance de la nature de la langue peut être utilisée pour réfléchir aux similitudes ou aux différences entre les différentes langues qu’une personne connaît. Par exemple, une personne qui connaît le français et apprend l’anglais peut réfléchir à la façon dont certains mots dans les deux langues sont orthographiés de manière similaire mais prononcés différemment (par exemple, table) ou à la façon dont d’autres mots sont orthographiés de manière similaire mais ont des significations différentes (par exemple, chat).
Si des études antérieures ont examiné l’utilisation de ces liens interlinguistiques par les enseignants (p. ex., Dault et Collins, 2016; Horst, White et Bell, 2010), aucune étude n’a encore déterminé si les élèves utilisent des connexions interlinguistiques lorsqu’ils apprennent une deuxième langue. Les chercheurs ont donc voulu déterminer si les apprenants d’une deuxième langue utilisent des connexions interlinguistiques de leur première langue lors de l’apprentissage de leur deuxième langue.
Des élèves francophones de 11 et 15 ans apprenant l’anglais dans des écoles de Montréal ont travaillé en binôme pour trouver, discuter et corriger des erreurs linguistiques dans un court paragraphe en anglais. Par exemple, une erreur concernait un verbe dont le participe passé était incorrect, comme “have ever experience” au lieu de la version correcte, “have ever experienced”. Les discussions des élèves sur ces erreurs et les raisons pour lesquelles elles étaient incorrectes ont été enregistrées et codées ultérieurement par les chercheurs. Tous les liens interlinguistiques établis entre le français et l’anglais ont été classés en trois groupes : énonciation d’une règle interlinguistique et référence explicite au français, énonciation d’une règle interlinguistique sans référence explicite au français, et absence d’énonciation de la règle mais implication d’un lien interlinguistique.
Seulement environ 14 % des réflexions des élèves sur les erreurs linguistiques étaient de nature interlinguistique, ce qui signifie que les apprenants francophones de l’anglais ont rarement utilisé des liens interlinguistiques lorsqu’ils travaillaient en anglais. Parmi les liens interlinguistiques utilisés, la plupart appartenaient à la troisième catégorie où aucune règle n’était énoncée en dépit de l’implication manifeste d’un lien interlinguistique. Cela signifie que la plupart des étudiants n’ont pas démontré qu’ils étaient conscients d’utiliser des liens interlinguistiques. Cependant, dans les situations où les élèves étaient conscients qu’ils comparaient entre les langues, les erreurs linguistiques étaient corrigées avec plus de précision. Les élèves plus âgés utilisaient davantage les liens interlinguistiques que les plus jeunes, probablement en raison des connaissances métalinguistiques plus développées des apprenants plus âgés.
Ces résultats ont des implications pour les éducateurs, les parents ou les tuteurs dont les enfants sont inscrits dans des programmes d’enseignement d’une langue seconde, mais aussi pour les agences gouvernementales impliquées dans l’établissement de normes éducatives. Certains éducateurs ont indiqué que le matériel pédagogique disponible pour l’enseignement de la grammaire dans une classe de langue seconde reste décontextualisé. Les connexions inter-langues peuvent être un moyen pour les éducateurs de contextualiser les règles grammaticales. Par conséquent, la mise en évidence des règles qui se chevauchent d’une langue à l’autre peut aider les élèves à comprendre que les langues sont des systèmes complexes. Cette compréhension globale de la nature de la langue semble aider les élèves dans de nombreux autres domaines éducatifs. De plus, les programmes d’enseignement secondaire au Québec traitent
explicitement de l’importance d’incorporer la connaissance de la première langue, le français, dans les contextes éducatifs anglophones. Puisque les élèves n’établissent pas naturellement ces liens interlinguistiques, comme le montre l’article, il pourrait être bénéfique de créer des directives et du matériel supplémentaires pour encourager les pratiques interlinguistiques en classe. Enfin, étant donné que les gens utilisent leur deuxième langue en dehors de la salle de classe, comme à la maison ou en public, il pourrait être utile pour les parents, les tuteurs ou les gardiens d’enfants qui apprennent une deuxième langue d’incorporer, si possible, des liens interlinguistiques lorsqu’ils utilisent la première et la deuxième langue. Il peut s’agir de souligner les similitudes et de mettre en évidence les différences entre les langues au cours des tâches quotidiennes, par exemple en comparant les menus anglais et français d’un restaurant ou en remarquant les panneaux bilingues affichés le long d’une rue. Dans l’ensemble, ces pratiques peuvent encourager les élèves à appliquer naturellement leurs connaissances interlinguistiques et à acquérir une compréhension plus approfondie de la langue.